L’image terriblement symbolique de chênes français, fleuron quasi aristocratique de nos forêts, entassés dans de vulgaires boîtes métalliques pour être vendus à la Chine, ce pays qui nous inquiète, sans bénéfice apparent pour notre industrie nationale, peut légitimement choquer et c’est un sujet médiatiquement très exposé. Le comité des forêts souhaitait remettre à leurs places quelques vérités trop souvent oubliées. Nous regrettons, avec tous nos concitoyens, que les chênes que nous produisons ainsi que beaucoup des autres essences, notamment feuillues, ne soient pas plus largement transformés en France, mais :
De quoi est née cette idée, absurde au premier abord et contraire à tous les crédos actuels, de faire traverser la terre entière à des grumes de chêne, qui s’entassent si difficilement dans ces boîtes métalliques stupidement rectangles alors que les chênes sont désespérément ronds ?
Ce qui a généré ces échanges est précisément l’arrivée massive de produits manufacturés en provenance des pays émergents, la Chine au premier plan – mais pas que – qui nous livrent par porte-containers entiers leur production industrielle, réduite à si peu de choses en France. Pour ne pas repartir à vide vers ces grandes usines du monde, ils chargent ces gigantesques bateaux avec les matières premières industrielles, et le bois au premier plan que nous ne savons plus bien transformer.
Aujourd’hui la part de chêne exporté est de 20 % ce qui est effectivement trop important. Il est important de savoir que cette proportion est stable depuis 2015 (source : French Timber, organisme créé par la FNB).

I . L’exportation de chênes vers la Chine n’est pas responsable des difficultés structurelles des scieries françaises :
La contraction du tissu industriel des scieries françaises est beaucoup plus ancienne que le démarrage de l’export vers la Chine. Il y avait 15.000 scieries en 1960, 5000 en 1980, 1500 aujourd’hui (source FNB). L’évolution récente des prix du chêne ne peut pas être tenue seule responsable des difficultés récurrentes des scieries : En € constants, le prix du chêne n’avait fait que baisser pendant plus de trente ans, et les hausses récentes, tirées par l’export et concentrées sur les qualités secondaires de chênes, ont sans doute été brutales pour l’aval de la filière, mais elles n’ont pas encore permis de rattraper le niveau des années 1980 (source Fédération Nationale des Experts Forestiers).

De la fin des années 80 jusqu’en 2004 environ – exception faite de la crise de la tempête de 1999 – le prix du chêne à très peu varié alors que le coût du SMIC est passé du 1er janvier 1983 au 1er janvier 2021 de 3,09 € à 10,25 €, soit un facteur de 3,3 (source INSEE : https://france-inflation.com/smic.php) mettant les propriétaires devant l’incapacité d’investir dans la sylviculture face à ce « ciseau » économique qui décapitait tout espoir d’exploiter dans des conditions économiquement raisonnables leur patrimoine forestier.
Il faut rappeler que le chêne est une essence très exigeante en travaux et peu productive en volume. Le coût de cette sylviculture pour ce produit de qualité, qu’on peut qualifier de luxe, doit pouvoir être rémunéré par des prix de vente élevés.
Si on compare cette évolution des prix à celle des autres matériaux de construction
Évolution indices des prix source INSEE | |||
1985 | 2020 | Rapport : 2020/1985 | |
Ciment | 50,2 | 104,2 | 2,07 |
Sables et granulat, argiles et Kaolin | 36,5 | 103,5 | 2,83 |
Cout de la construction | 826 | 1770 | 2,14 |
II. Le constat est sans appel : le chêne est le matériau dont le prix a le moins progressé depuis 40 ans.
Y a-t-il lieu de s’excuser du rattrapage récent ? Entend-on les producteurs de cuivre, d’aluminium, d’acier, de plastique, voire de pétrole s’excuser des hausses de prix qu’ils pratiquent ?
En fait la baisse continue des prix pendant trente ans fut probablement mauvaise pour toute la filière ; elle a privé l’industrie du sciage d’un aiguillon salutaire en matière de recherche de productivité. Ferait-on des économies d’énergie si l’énergie coutait un peu moins cher chaque année ?
Les prix actuels du chêne n’ont donc rien de choquant, et la hausse de ces dernières années n’est que la conséquence, certes brutale pour la filière, d’un rattrapage après 30 ans de baisse. La brutalité de la hausse du douglas sur les dernières années(source : observation économique prix de vente des bois sur pied en forêt privée) n’émeut personne et démontre la magnifique adaptabilité des scieurs à un marché extrêmement volatil.

Renouveler un peuplement de chêne ne coûte pas moins de 7000€/ha sur des terrains riches et nécessite 120 ans de patience et de dépenses avant de récolter les fruits d’une production modeste, comparée au douglas par exemple. Comment peut-on imaginer que le chêne soit autre chose qu’un produit de luxe vendu comme tel ?
III. L’exportation de grumes de chênes correspond à une double nécessité pour les exploitants forestiers, à ce titre elle doit être défendue, voire développée.
A) Une double nécessité :
Première nécessité : Trouver un débouché pour les qualités secondaires de chênes en situation de mévente permanente du fait de l’insuffisance de la demande des scieries françaises pour ce type de produits, avec pour corolaire des prix insuffisamment rémunérateurs pour des propriétaires forestiers qui assument une sylviculture couteuse.
On notera que l’export concerne principalement les qualités secondaires de chênes, les belles qualités et notamment le merrain et les beaux plots bénéficiant pour leur transformation d’un savoir-faire typiquement français qui trouve sans difficulté des débouchés rémunérateurs dans notre pays, il faut d’ailleurs noter que pour ces qualités-là, les prix sont restés relativement stables dans la période récente.
Seconde nécessité : Bénéficier d’un exutoire hors de France pour écouler les volumes de bois excédentaires abattus à la suite des crises climatiques et parasitaires qui se succèdent et ne sont sans doute pas prêtes de s’arrêter. Cela nous a rendu massivement service récemment (scolytes des épicéas, chalarose du frêne entre autres) sans qu’aucun média ne salue cette chance !
Cette double nécessité ne se résorbera donc pas tant que l’industrie de la transformation du chêne en France n’aura pas fortement évolué, et tant que les aléas climatiques et les attaques de parasites menaceront nos forêts.
L’export vers la Chine est né de la conjonction d’un besoin très important en Asie et de la nécessité d’assurer un fret retour aux biens manufacturés asiatiques que les pays européens importent massivement du fait de notre désindustrialisation. Il est porté par une demande mondiale en pleine expansion, pour nous de consommation de produits manufacturés, pour les Chinois de matières premières pour travailler. Tant que ces deux demandes aussi fortes l’une que l’autre ne tariront pas, et hors coercition politique, l’export n’est pas près de disparaître à court et moyen terme. Mais l’export ce n’est pas nécessairement que la Chine. L’export ce pourrait être aussi l’Europe et l’Europe cela pourrait être aussi le Train.
B) Le fret ferroviaire :
Beaucoup d’industriels ignorent qu’il s’est produit il y a 15 ans déjà une véritable révolution dans le fret ferroviaire avec l’ouverture à la concurrence réalisée en 2006. Des opérateurs étrangers ou français indépendants se sont lancés sur ce marché. La qualité de service a radicalement changé, les schémas logistiques ont évolué, la productivité du secteur ferroviaire a considérablement progressé. Les prix ont baissé. Le fret ferroviaire aujourd’hui c’est une rame complète fonctionnant toute l’année entre des plateformes de stockage et les grandes scieries européennes.
C’est un gain considérable en terme économique, sécuritaire, logistique et écologique qui relègue le transport par grumiers sur de longues distances au rang d’une antique aberration.
Il manque aujourd’hui des acteurs avertis et convaincus capables de prendre ce sujet à bras le corps. C’est d’autant plus dommage que la puissance publique se penche aujourd’hui avec des yeux de Chimène sur tous les projets ferroviaires pour des raisons évidentes. De multiples réunions se tiennent en ce moment même sous l’égide du ministère des Transports pour recenser les besoins des différentes branches industrielles en matière de ferroviaire, et notre filière en est totalement absente. De multiples subventions sont distribuées par exemple pour la création des plateformes dont, et bientôt ces plateformes elles-mêmes seront très difficiles à trouver tant elles sont recherchées.
Contrairement au fret maritime dont le seul défaut est d’être « chinois », le fret ferroviaire disposera facilement d’un appui massif du public et il sera beaucoup plus difficile sinon tout à fait impossible à brider.
Ce court chapitre sur le ferroviaire se veut un appel au réveil de la profession sur le sujet avant que les trains, et notamment les trains de subvention, les opportunités de plateformes, les sillons ferroviaires ne soient définitivement passés.
Le Comité des Forêts n’a pas vocation évidemment à devenir un acteur sur ce sujet, mais il dispose de certaines compétences qu’il est prêt à mettre au service d’acteurs de la profession qui seraient intéressés. Qu’ils n’hésitent pas à nous contacter !
IV La filière française de transformation du chêne, sa modernisation, sa structuration et son développement n’en restent pas moins l’objectif prioritaire des propriétaires forestiers français.
Une fois affirmée notre position sur l’export qu’il y a lieu de défendre et de développer, il n’en reste pas moins que l’avenir du chêne français se joue en France et que la situation de la filière nécessite des actions de fond urgentes :
– Modernisation et spécialisation des scieries en intégrant les exploitants forestiers dans la filière au service des scieries plutôt qu’en concurrence
– Normalisation des bois pour faciliter leur montée en puissance dans l’industrie
-Développement de produits nouveaux et innovants
– Amélioration des circuits logistiques et développement du ferroviaire en France.
V Conclusion :
Oui, il est important et urgent de sauver nos scieries françaises et il nous tarde tous de retrouver des relations suivies avec des scieurs capables de transformer l’ensemble des bois que nos forêts produisent car ce n’est plus le cas depuis de longues décennies. Il ne faut plus entendre que les forêts doivent s’adapter aux outils de transformation actuellement présents en scierie. C’est bien vers l’inverse qu’il faut travailler.
Il semble que la solution durable passe par une facilitation de la modernisation des scieries, leur spécialisation pour répondre aux énormes attentes de la société vis-à-vis de ce matériau écologique et durable qu’est le bois. Il faut proposer à nos concitoyens des larges usages innovants, esthétiques, et durables de ce matériau écologique qui passe par son étude approfondie, sa normalisation qui facilitera sa montée en puissance dans les marchés avals notamment dans la construction.
Il semble que la place de l’État est beaucoup plus dans les scieries pour les aider à cette mutation qui se révèle relativement brutale mais stratégiquement fondamentale pour un pays comme le nôtre si riche de forêts et particulièrement de chêne plutôt que dans une attitude protectionniste.
Si nous savons créer des produits à forte valeur ajoutée, comme les tonneaux, et non pas ceux qui résultent uniquement d’un simple délignage des grumes intra européen, le problème très ancien de la filière bois qui a fait rédiger tant de rapports, bien antérieurs à l’émergence de l’export vers la Chine, se résolvera durablement. Mais il est vrai aussi que cela est plus exigeant en réflexion stratégique et modernisation que la simple fermeture des frontières souhaitée par certains.
Dans cette perspective il semble difficile pour eux de consacrer leur énergie à l’achat de bois en forêt, avec des lots nécessairement mélangés, des problèmes de logistique importants, la nécessité de revendre ce qu’ils ne savent pas transformer. Il est logique de laisser ce véritable métier à des spécialistes de leur approvisionnement que sont les exploitants.
Il nous faut souhaiter que la filière des exploitants et scieurs retrouvent sa belle unité que nous lui avons connue.
Nos forêts, nos chênes, ont donc un magnifique avenir devant eux mais cela passe par des solutions plus innovantes et courageuses que celles que le brouhaha médiatique semble colporter. Les campagnes médiatiques incessantes sur le thème « la Chine pille les forêts françaises » ne nous semblent pas de nature à engager une réflexion menant à un progrès durable. Sur tous ces sujets et sur d’autres, le Comité des Forêts est prêt à apporter sa contribution. Nous sommes convaincus que l’intérêt de nos adhérents est dans le succès global tout au long de la filière. Il faut donc viser l’excellence plutôt qu’un protectionnisme frileux.